Tuesday, October 2, 2012

Premier rendez vous à la Methodist Church



Vendredi dernier, rendez vous avec Barbara à l’une des réunions hebdomadaire de la Methodist Church of Johannesburg, la plus grande église du pays. Sa particularité ? En plus d’être un lieu de culte, elle est aussi le refuge d’environ 4000 réfugiés et sans abris. Énorme choc en franchissant le seuil de l’immense monument. (désolée pour le pavé les amis mais ce que j'ai vu mérite d'y consacrer bien plus de dix lignes)




Ça et là, je vois des visages noirs et maigrelets m’observer l’œil étonné. Je regrette d’être si bien habillée, si seulement j’avais su le programme de ma soirée avant de me vêtir ce matin ! A ma droite, un groupe d’hommes occupe le coin de la salle pour vendre des légumes et des fruits. Devant moi, des dizaines d’enfants chahutant, des mères qui crient et courent après eux, des gros sacs partout par terre, beaucoup de déchets aussi. Barbara m’escorte jusqu’aux bancs du sanctuaire. Elle est ici pour exposer son projet et rechercher d’éventuels stagiaires souhaitant travailler à ses cotés.

Le temps que la réunion commence, un homme assis à coté de nous nous aborde : qui sommes nous, que faisons nous ici ? Quel jour sommes-nous ? Lui, il vient du Zimbabwe, un pays frontalier à l’Afrique du Sud. Il a atterrit ici il y a un mois, mais à force de voir les jours s’écouler, il a perdu le fil du temps. Il nous explique que là d’où il vient, il n’y a pas de magasins, pas de consommation, pas de monnaie, pas de travail, pas d’économie. Il n’y a rien pour vivre, et même s’il nous vante la beauté de son pays, il reconnait qu’il est venu en Afrique du Sud parce qu’il espère y trouver un travail et envoyer chaque mois de l’argent à sa femme et ses trois jeunes enfants restés sur place. Il nous conte son arrivée à Johannesburg, comment il a été attaqué et dépouillé de tous ses biens dès son arrivés par cinq voyous. J’ai le triste sentiment que son histoire est banale dans les parages. Je lui demande s’il compte s’établir ici, obtenir la nationalité sud-africaine puis ramener sa famille. Sa réponse : un sifflement de mépris : « Ici, les gens sont violents. Ils volent, ils agressent, ils ne respectent rien. Dans mon pays nous ne sommes pas comme ça, nous sommes honnêtes et travailleurs. Jamais je ne deviendrai sud-africain ! », « Il ment, me murmure Barbara, tous les gens présents dans cette église veulent cette nationalité : elle est très difficile à obtenir, mais les garanties qu’elle apporte ont une valeur inestimable ».

Notre interlocuteur enchaine en nous interrogeant à son tour, il s’adresse à Thibault : « Combien coûte l’avion de France à Johannesburg ? » Barbara proteste : interdiction de parler d’argent ici, le zimbabwéen n’insiste pas. Pour relancer la conversation, je le questionne de nouveau : n’a-t-il pas trop peur de l’avenir ? Son visage s’illumine : « Bien sur que non », sourit-il comme si la réponse était évidente. Devant mon regard étonné, il me souffle : « Je sais que Dieu veille sur moi et sur ma famille : il ne peut rien nous arriver car il nous protègera. »

La réunion commence, le révérant est un homme d’un certain âge appelé Paul Verryn. Il dégage une autorité, une allure, quelque chose de bon aussi, on a envie de le respecter et de l’écouter. « Aujourd’hui, un enfant est resté bloqué au quatrième étage alors que sa mère était sortie du bâtiment. Il a pleuré des heures durant sans que personne ne l’entende. C’est absolument scandaleux. A son âge, il aurait du assister aux cours tenus à l’étage inférieur. Lorsque je marche dans ces couloirs, je constate qu’il y a beaucoup de jeunes visages qui ne sont pas présent durant les heures de leçons. Vous devez amener vos enfants dans les classes dispensés ici.  » Le sujet de l’école est lancé : un certain Monsieur Williams dresse le bilan concernant la scolarité des habitants de l’Eglise (scolarité qui concerne certains adultes et tous les enfants). 

Vient ensuite le temps de parler de la crèche de l’église. Un homme se lève en colère :  
« Il y en a marre de parler des mères, et des problèmes dont tout le monde se fout ici ! On parle trop des mères pendant les réunions mais elles ne représentent pas l’ensemble de la population présente ! Moi je propose qu’on parle de quelque chose de plus grave, de plus sérieux : à savoir réparer les toilettes du bâtiment parce que les gens pissent partout et que ça devient dégoutant. »

Une femme responsable de l’entretient l’interrompt et lui lance que le sale dégoutant dans l’histoire, c’est lui : qu’elle l’a surprit en train d’uriner sur la porte des toilettes au lieu de faire dans sa bouteillecomme tout le monde. A l’intéressé de répliquer qu’on a qu’à réparer les toilettes au lieu de perdre du temps avec des mères qui profitent de leur situation pour exiger un traitement spécial.

Le révérant met fin à l’échange houleux : « Ces toilettes ont été détruits car vous les avez mal entretenu. Vous êtes les seuls responsables de cela alors n’allez pas exiger des réparations, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même. Et que cela vous incite à respecter les lieux, à les garder en état. Quand je vois le sabotage que vous faites autour de vous alors que ces murs sont mis à votre disposition gracieusement par la ville, ça me met hors de moi. Je parle des toilettes bien sur, mais aussi des chambres, des escaliers, de la magnifique orgue de cette Eglise dont je vois jour après jour disparaitre les tuyaux sonores. Vous pillez un lieu sacré dans lequel vous êtes généreusement accueilli. Honte aux coupables. »

Tout au long de l’entrevue, je sens des tensions émaner des quatre coins de la salle. Je commence à comprendre comment fonctionne la vie ici : c’est partage des tâches. L’Eglise est une mini-communauté dans laquelle chacun doit apporter sa contribution afin que vivre tous ensemble dans un espace si restreint devienne possible. Il y a de nombreuses règles, de nombreuses contraintes qui pèsent sur les individus et j’imagine combien il doit être difficile de faire cohabiter des étudiants, des pères de familles, des enfants, des réfugiés, des personnes aux aspirations si différentes. Tout au long de l’entrevue, je sens des regards sur moi, et moi aussi, d’ailleurs, je dévisage tout le monde. Certains sont très très maigres, il y a des jeunes de mon âge, des mamies, des hommes seuls, des familles. Je me demande à quand remonte leur dernier repas, quelle a été leur vie jusqu’à aujourd’hui, s’ils ont toujours vécu dans une telle misère où si leur destin a tout d’un coup basculé pour les projeter dans un endroit si sinistre, je me demande d’où ils viennent, quel avenir ils auront, combien s’en sortiront, je me demande aussi pourquoi malgré tout ce qu’ils traversent ils sourient si facilement, si sincèrement, ils rient en se moquant des plus hargneux qui manifestent leur mécontentement pendant le meeting, ils ont l’air sages, c’est le bon mot, sages…

Les différents sujets défilent, j’essaye de tout graver dans ma mémoire : concernant les soins médicaux, le révérant confie son inquiétude devant les risques menaçant les réfugiés se faisant hospitaliser et annonce qu’il travaille avec des avocats pour améliorer la situation. En effet ces pauvres sans papiers sont livrés à la police une fois sortis et se font torturer. Je vous épargne les cas qu’il évoque. Il existe aussi un cours de karaté au sein de la communauté, et une équipe de foot. Les représentants de ces deux sports viennent faire le bilan concernant leur activité et encourager les habitants à rejoindre le mouvement. Un service de vente existe également au sein de la communauté, je n’ai pas trop compris le principe, je crois qu’ils vendent certaines choses à l’extérieur pour gagner un peu d’argent.

A un moment, Barbara se lève pour parler, évoquer son projet et les missions qu’elle propose. Certains étudiants restent sceptiques : qu’est-ce que ça nous apporte ? Des compétences. Oui mais ça sert à quoi ? Allez expliquer à une personne qui n’a pas de logement et qui jeûne certains jours qu’une telle expérience ça fait bien sur un CV, pour la suite, mais que dans l’immédiat, c’est pas rémunéré.

Le sujet du paiement de loyers constitue le point suivant : les résidents de l’Eglise doivent payer une certaine somme pour occuper les lieux. Pas grand-chose, c’est symbolique. Certains protestent : on a payé ce mois-ci ! Je n’ai pas vu l’argent, répond le révérant. Un silence dans la salle, tout le monde pense la même chose : il y a des chances pour que la personne responsable de recueillir l’argent des loyers ait tout gardé pour elle.

La réunion se termine, les regards curieux se focalisent de nouveau sur nous. Des étudiants s’approchent de Barbara pour manifester leur intérêt pour le projet. Puis, certains viennent me parler : d’où je viens en France ? De Bordeaux. Bordeaux ?! Oui, tu connais ? Oh non, enfin je connais mais j’y suis jamais allé ! Ils connaissent aussi l’Histoire de France : la révolution de 1789, les rois, la révolution industrielle. Je suis scotchée : moi je sais quoi de l’Afrique du sud en 1700 ? Ils ont l’air contents de parler, ils nous raccompagnent jusqu’à la sortie. Autour de nous, des sacs de couchage ont été déballés pendant la réunion, les gens commencent à se préparer à dormir, ce n’est pas de la jalousie ou de l’agressivité que je vois dans leur yeux, mais de la curiosité. Un homme vient nous dire qu’il est heureux de nous accueillir ici. Je voudrais tout retenir de ce que je vois, de ce que j’entends, mais nous avançons vite : il est tard, il fait nuit et nous sommes au cœur de la ville, autrement dit dans un endroit où je n’irai jamais trainer seule de nuit.

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